Entre télévision linéaire et plateformes de streaming, les usages se transforment et redéfinissent les stratégies publicitaires avec de nouveaux formats comme BVOD, AVOD et FAST. Molotov, acteur pionnier du streaming OTT en France, occupe une place centrale dans cette mutation.
Béatrice Leroux Barraux, Directrice de Molotov Advertising, décrypte pour nous les enjeux du Total Vidéo, la place stratégique de la CTV, et l'évolution des modèles d'achat publicitaire. Elle nous éclaire aussi sur les défis du marché français face aux tendances venues des États-Unis, ainsi que sur l’importance croissante de la mesure de l’attention dans l’évaluation de la performance des campagnes.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis directrice de la régie publicitaire de Molotov, Molotov Advertising.
Molotov, née à l’été 2016, est une plateforme de streaming vidéo en OTT, un agrégateur généraliste (dont les chaînes de la TNT) qui propose tous les usages de la vidéo, Live, Replay, SVOD et AVOD.
Nous sommes présents sur l’ensemble des devices connectés dont bien sûr et principalement la CTV.
Sous le label Molotov Channels, nous commercialisons une trentaine de chaînes AVOD et FAST, classées par thématiques ou autour d’une marque forte. Nous avons récemment lancé Molotov Advertising Network en agrégeant à nos propres inventaires, des inventaires nouvellement créés au sein de notre plateforme autour des contenus des chaînes des groupes Altice Media et NRJ. Ces inventaires, pré roll devant les lives, mid rolls du replay (pour Altice), ad stitching du live (Altice) représentent une extension d’audience pour ces groupes et pour nous, sont agrégés avec nos propres chaînes.
Quelle est votre définition du Total Vidéo ?
Le Total Vidéo est un concept apparu avec l'émergence de toutes les nouvelles plateformes de streaming et nouveaux usages de la vidéo. Ce concept reflète la fragmentation du marché de la vidéo, qui se caractérise par la coexistence de différents supports et formats.
Le Total Vidéo est donc l'offre de tous les contenus vidéo instream multi-écrans, c'est-à-dire multi devices. Il comprend l'ensemble des contenus vidéos diffusés sur tous les supports, qu'il s'agisse de la télévision linéaire, de la télévision de rattrapage, de la vidéo à la demande (VOD), de la vidéo sur les réseaux sociaux ou de la vidéo sur les plateformes de streaming.
Il s'agira d'une réalité publicitaire lorsqu'il y aura une monnaie unique, le CPM, autant pour la vidéo émanant du digital que celle en provenance de la télévision linéaire.
Comment s'intègre la CTV (Connected TV) dans cette définition ?
La télévision connectée (CTV) est un terme qui désigne l'ensemble des appareils de télévision qui peuvent accéder à Internet. Ces appareils peuvent être des téléviseurs nativement connectés, c'est-à-dire équipés d'un module Wi-Fi ou Ethernet, ou des téléviseurs non connectés qui peuvent être connectés à Internet via une box opérateur, un dongle ou une console de jeux.
La CTV est donc une partie de l'offre “Total Vidéo”, celle qui est certainement la plus valorisée car c'est le meilleur des deux mondes : grand écran et ciblage digital.
Quel est votre rôle dans cet écosystème ?
Nous nous adressons à des cibles plus jeunes (65% de moins de 50 ans), qui sont moins présentes sur la télévision linéaire. De même, nous touchons plus facilement les petits consommateurs TV. Aussi nous avons un rôle de complémentarité à jouer dans cet écosystème pour aller chercher des points de couverture additionnels à la TV linéaire classique qui a une audience vieillissante.
Les nouvelles générations consomment toujours beaucoup de vidéos, mais différemment, notamment via des plateformes plus modernes, plus faciles d'usage, moins chères, etc…
Ainsi, Molotov a un rôle de facilitateur d'usage de la vidéo en proposant sur une même et unique plateforme à la fois les chaînes, des grands groupes audiovisuels du marché plus des chaînes d'AVOD/FAST et de la SVOD.
Avoir une vision américaine du marché permettait-elle d'anticiper l'évolution du marché européen et français ?
Les plateformes de streaming OTT aux États-Unis existent depuis près de quinze ans, et ont marqué la disparition progressive du câble (cord cutting).
En France, l’offre OTT a considérablement évolué avec l'arrivée d’acteurs nationaux et internationaux de plus en plus nombreux (Molotov en fut d’ailleurs l’un des pionniers) mais les fournisseurs d'accès à Internet continuent à jouer un rôle très important dans la distribution des chaînes et des contenus ce qui est une particularité en Europe. Assistera-t-on progressivement au box cutting et donc à la décroissance des box notamment sur les nouvelles générations qui ont appris à consommer les contenus vidéos autrement ?
Aux USA, d’après une étude emarketer, l’audience linéaire a été dépassée en 2023 par l’audience digital video. On voit cette tendance arriver peu à peu en France sur la cible publicitaire 25-49 ans, et les chaînes de télévision créent de nouvelles plateformes de streaming gratuites.
Aux États-Unis, la tendance dominante sur les plateformes OTT est la consommation live. Les Américains semblent privilégier le contenu en direct, peut-être en réaction à une éventuelle saturation de l'offre de vidéo à la demande (VOD) et de vidéo à la demande par abonnement (SVOD).
En France, bien que le live en linéaire conserve encore une importance significative notamment pour les grands événements de sports ou news, la saturation des plateformes n’existe pas encore…
L'écart entre les tendances américaines et françaises se réduit, notamment en raison de la mondialisation de la publicité sur des plateformes telles qu’Amazon Prime et Disney+. Ces entreprises semblent confiantes dans la maturité du marché européen, y compris celui de la France, pour absorber ces nouvelles offres.
Quels sont les enjeux du Total Vidéo pour les annonceurs ?
Le Total Vidéo doit permettre aux annonceurs d'acheter de la télévision de manière plus efficace et plus ciblée. En effet, les solutions d'achat programmatique offrent aux annonceurs la possibilité de cibler des audiences spécifiques, de mesurer l'impact de leurs campagnes et de contrôler leurs dépenses.
Par exemple Molotov est dans un environnement 100 % logué, permettant de croiser notre base de données avec d'autres s’il y a un point d'intersection, comme une adresse mail. Cela permet aux annonceurs d'atteindre leurs cibles de manière plus efficace et de générer des résultats plus concrets, comme augmenter leur reach en touchant les cibles plus jeunes ou les petits consommateurs TV.
Comment s’organise et évolue l’achat selon vous ?
Dans le contexte actuel, l'achat vidéo hybride est devenu une nécessité. Il s'agit de la capacité à acheter de la vidéo sur tous les écrans, qu'ils soient linéaires ou non linéaires. Cette approche permet aux annonceurs de toucher une audience plus large et plus ciblée de manière globale.
Cependant, l'adoption de l'achat vidéo hybride est un défi pour les agences médias. En effet, elle nécessite la collaboration de différentes équipes, avec des expertises et des cultures différentes.
Les équipes digitales sont habituées à travailler sur des environnements non linéaires, mais elles ont souvent peu de connaissances des formats et des usages de la télévision linéaire.
Les équipes multiscreen, quant à elles, ont évidemment une grande expertise de la télévision linéaire et de ses déclinaisons comme le replay, mais toutes ne sont pas encore totalement familiarisées avec les données et les outils du digital.
Enfin, les CPM sont variables selon la provenance de l'impression (linéaire, stream) et selon le type d’achat, la période, le ciblage, le format et les équipes d'achats. Les équipes programmatiques sont habituées à travailler avec des CPM assez bas venant notamment de vidéos outstream ou instream sur des supports pas vidéo-natifs ce qui peut être un frein à l'achat de vidéo linéaire, qui est généralement plus cher.
Malgré les challenges, l'achat vidéo hybride est une tendance qui est appelée à se poursuivre. Les agences médias qui réussiront à s'adapter vite dans leurs organisations et leur expertises transversales seront les mieux placées pour accompagner les annonceurs dans leur stratégie vidéo.
À quels enjeux se confronte le Total Vidéo ?
En France, il est impératif d'adopter des mesures uniformes au niveau individuel pour prendre en compte l'ensemble des contacts, quel que soit l'écran ou le lieu. Actuellement, nous n’avons pas eu d’informations précises de Médiamétrie sur cette mesure unifiée et la mesure des plateformes. Bien que nous soutenions cette approche unifiée, nous souhaitons en amont comprendre précisément comment cette mesure sera effectuée.
Il y a également la nécessité d'une monnaie commune, mais certains acteurs seraient réfractaires à passer au CPM en raison des comparaisons liées aux coûts relativement bas du CPM TV en France. Passer au CPM vidéo, notamment pour notre environnement instream de haute qualité, implique des ajustements tarifaires significatifs.
Des divergences d'opinions et d'approches sur ces questions existent encore sur le marché de l'achat.
Est-ce que vous pensez qu'il y a une guerre de l'attention ?
La mesure de l'attention est un enjeu majeur pour les acteurs de la télévision, tant pour les annonceurs que pour les chaînes. En effet, elle permet d'évaluer l'efficacité des campagnes publicitaires et de déterminer le prix des espaces publicitaires.
Les méthodes traditionnelles de mesure à date se basent sur le taux de complétion. Cette méthode consiste à mesurer le pourcentage de personnes qui regardent une publicité jusqu'à la fin. Cependant, cette méthode présente des limites, car elle ne prend pas en compte la qualité de l'attention.
Une nouvelle approche de la mesure de l'attention consisterait à identifier les zones horaires où l'attention est plus forte. Cette approche prend en compte le fait que l'attention est plus soutenue lorsque la vidéo est regardée à plusieurs donc en écoute conjointe à des moments où il y a des émissions avec des contenus phares, tels que des grands événements sportifs, des télé-réalités ou des feuilletons, évidemment souvent en prime time. C’est en fait la possibilité de distinguer des impressions en écoute conjointe (moment où le contenu et la pub se partagent à plusieurs) et des impressions individuelles.
Cette approche est prometteuse, mais elle nécessite encore des développements. En effet, il est nécessaire de trouver des méthodes fiables et reproductibles pour mesurer l'attention.
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