La pub TV a tout vu : le noir et blanc, la couleur, la TNT, la CTV, la Smart TV… Et pour accompagner son évolution, nous lançons une série d’entretiens avec ceux qui transforment l’écosystème publicitaire.
Premier invité : Emmanuel Crego, DG du groupe Values. De la TV linéaire au programmatique, il a suivi et accompagné les grandes mutations du secteur. Fragmentation des audiences, convergence avec le digital, data collaboration… Quels défis et opportunités pour la publicité TV en 2025 et au-delà ?
Peux-tu nous raconter ton parcours, le positionnement de ton agence, et comment la TV, avec ses transformations successives au fil des décennies, a façonné ton métier et tes pratiques ?
J’ai commencé ma carrière en TV, tout d’abord en tant qu’acheteur en agence puis au marketing chez France Télévisions. Ensuite j’ai passé 7 ans chez TF1 Publicité où j’ai dirigé le développement commercial et une partie du pôle agences. Puis j’ai bifurqué sur la Tech, en rejoignant Adap.TV (AOL), qui était un DSP très innovant il y a une dizaine d’années, en créant les toutes premières places de marché programmatiques pour la TV linéaire aux USA, Australie et Canada. A cette époque, en France, l’inventaire vidéo replay des chaînes de TV commençait tout juste à se vendre en programmatique…
J’ai toujours aimé la technicité de l’achat en TV, qui a beaucoup évolué en 20 ans. C’est un média qui a su se remettre en question et innover régulièrement. Enfin, je trouve qu’il est symbolique de l’époque actuelle : le phénomène de convergence des médias digitaux avec ceux dits « offline ». Cela demande de comprendre 2 univers qui ne communiquent pas toujours si bien, avec des enjeux technologiques importants et assez nouveaux. Donc tout est à construire. Ce n’est pas « uniquement » une question de média mais aussi de data et de tech, c’est donc très stimulant !
Même si elle reste LE média de masse, son audience se fragmente avec la digitalisation de sa distribution. Le téléspectateur est face à un hyper choix aujourd’hui : de chaînes et de plateformes, de mode de consommation plus varié (en linéaire ou non), différents devices permettent d’y accéder, et plusieurs modes de réception qui se combinent (du boitier TNT à la Smart TV en passant par la box opérateur).
Oui cet univers s’est complexifié avec les usages…mais il apporte de nouvelles opportunités aux annonceurs : en matière de ciblage, notamment pouvoir aller plus loin que le socio démo, ce que propose uniquement la TV linéaire à date, et potentiellement plus de personnalisation.
La TV a connu 100 ans de révolutions technologiques et culturelles. Quels sont aujourd’hui, selon toi, les grands enjeux pour les annonceurs TV face à l’essor des plateformes digitales, de la personnalisation ? Et comment ces enjeux vont-ils évoluer d’ici 2025 ?
Il ne faut pas opposer la TV linéaire, avec sa capacité à toucher très rapidement un large public et des leviers adressables, même s’ils sont aussi sur l’écran de TV. Ce sont des usages, capacités de ciblage et objectifs différents dans le mix média.
Aussi, il faut distinguer les devices dans la stratégie média : on ne peut pas attendre les mêmes effets d’un spot sur un écran TV, avec son confort de visionnage et potentiellement une écoute conjointe, avec les devices digitaux, plus personnels, parfois consommés en mobilité et sur des contenus plus courts.
L’enjeu majeur pour les marques est sur la liquidité de la data : comment être en mesure d’adresser sa cible, peu importe où elle se trouve, alors qu’elle passe son temps à basculer d’une plateforme à une autre ? D’autant que nous sommes face à des « walled gardens » : les datas n’en sortent pas, donc ne sont pas opérables entre plateformes.
Donc la marque, comme souvent en digital, doit combiner des ciblages, plus ou moins proches, selon la capacité des éditeurs à collecter les bonnes datas…
La grande opportunité pour 2025 est donc de casser ces silos grâce à la « data collaboration » : en utilisant des data cleanrooms, et en passant des accords avec certains éditeurs médias ou retail qui disposent de datas CRM intéressantes. Les marques peuvent créer sur mesure des cibles, adressables en digital mais aussi sur l’écran de TV. C’est ce que nous faisons chez Values, par exemple avec notre accord avec Prisma Média (et ses 28M d’individus identifiés) : nous pouvons créer des segments sur mesure que nous adressons en TV segmentée sur les chaînes des groupes TF1, M6 ou Canal +, tout comme sur l’open Web ou tous les réseaux sociaux.
Ces techniques sont très nouvelles sur le marché, mais ce qui semblait impossible il y a quelques années est opérable aujourd’hui.
Au cours de ces 10 dernières années, des outils comme l’analytics TV ou la mesure unifiée ont profondément changé les stratégies publicitaires. Quelle est, selon toi, leur plus grande contribution ?
L’analytics TV a permis à de nombreux pure players de mieux se familiariser avec la TV linéaire et de l’envisager plus facilement comme une part intégrante de son mix d’acquisition. Je le considère comme un « pont » facilitateur et nécessaire entre 2 mondes qui vivent parfois en parallèle…
La mesure unifiée, à l’instar de Bee, est une avancée dans cette appréciation de la convergence : quel apport de couverture et réactivité de la TV linéaire Vs segmentée Vs CTV ? Des insights précieux qui permettent une meilleure orchestration et optimisation des budgets… Tout l’enjeu dans un monde qui se fragmente et nécessite donc d’activer davantage de leviers et médias qu’auparavant.
Depuis 1954, la TV a vu émerger des campagnes de pub devenues légendaires. Si tu devais citer une campagne récente que tu as orchestrée ou rêvé de créer, laquelle choisirais-tu ? Et quels enseignements pourraient inspirer les créateurs de demain dans un monde de publicité toujours plus connecté ?
Avant de parler d’innovation technologique, il faut re-situer un des fondements de la publicité : la pertinence du message. J’aime beaucoup le territoire de marque de notre client Macif. Dans l’univers hyper concurrentiel de l’assurance, et après une absence en médias pendant de longues années, la marque a su revenir avec force et humilité, en donnant la parole à ses sociétaires, « sans filtre », et en les mettant tout simplement en valeur. Ce qui a pour effet de mettre en avant les siennes, intelligemment…. Un ton qui change radicalement de ses concurrents, tout en restant en accord total avec l’ADN de la marque, qui est un réel succès sur tous les indicateurs « branding » et également business…
En 70 ans de pub TV, on a vu des spots mythiques. Si tu devais n’en garder qu’un seul, lequel ce serait et pourquoi ? Qu’est-ce qui en fait une réussite intemporelle ?
Je suis toujours admiratif des sagas qui fonctionnent. Je pense qu’il n’y a rien de plus difficile que de créer un territoire qui se décline sur des années (des décennies pour certaines marques) tout en gardant de la force, de l’originalité et une attribution importante. Quand elles sont en adéquation avec les valeurs, elles sont des marqueurs reconnaissables par tous et sont très efficaces… Naturellement je pense à Nespresso, Oasis, et plus récemment Intermarché ou Macif…
En repensant à 7 décennies d’évolution dans la publicité TV, comment imagines-tu le métier d’acheteur média d’ici 2025 ? Et si on se projette en 2050, comment l’héritage télévisuel plus que centenaire influencera-t-il encore ce métier ?
J’aimerais bien être en capacité de faire ce type de prédictions mais notre paysage évolue tellement que je ne vois pas si loin ! En revanche, je suis convaincu que l’achat TV linéaire et Vidéo digitale sera massivement opéré en programmatique et par les mêmes experts. On observe déjà cette convergence sur la TV segmentée par exemple. Chez nous, ce sont nos experts de TV linéaire qui l’opère en programmatique.
Je crois au fait que certains acteurs technologiques comme les opérateurs de box ou les constructeurs de Smart TV permettront aux marques et agences de nouer des partenariats de data collaboration pour utiliser leurs données de manière plus précises : créer des cibles sur mesure et les adresser par exemple. Le marché a besoin de se structurer mais la monétisation de la data venant de la consommation TV est finalement très peu exploitée pour le moment… Nous n’en sommes qu’au début. Cela va ouvrir de belles perspectives d’apprentissage et de transformation de nos métiers.